La presse en parle
< Retour aux actualitésVillages bucoliques et poésie improvisée
Dans la petite gare d'où part le train à crémaillère qui gravit la montagne de la Rhune, au Pays basque français, près de la frontière avec l'Espagne, Daniel, mon ami basque, me demande : "Tu veux prendre le train ou marcher ? - Le train, bien sûr !" Alors, on va marcher", me dit-il. Une heure et demie plus tard nous sommes à 3000 mètres d'altitude. Une ascension relativement facile, à vrai dire, égayé par la vue de pottocks, petits chevaux sauvages qui ne laissent pas indifférent même si, dans la vallée, ils ne font pas l'unanimité. Arrivés au sommet, nous sommes à la frontière franco-espagnole. Nous allons boire une bière. Une supérette-bar vend de l'alcool et des cigarettes à bon prix, profitant des taxes moins élevées du côté espagnol? C'est comme si on trouvait un Tresher (chaîne spécialisée en vins) sur la crête de Striding Edge (célèbre chemin de randonnée, sur la montagne Helvellyn, dans le centre de l'Angleterre) ! Certains randonneurs astucieux redescendent avec des sacs en plastique remplis de bouteilles de whisky et de cigarettes.
Nous savourons tranquillement notre bière. Derrière nous, les Pyrénées espagnoles sont couronnées de nuages. Sur notre gauche, Biarritz et d'autres stations balnéaires se nichent dans le golfe de Gascogne. Face à nous, des vallées d'un vert prodigieux descendent jusqu'à des villages blanc et rouge, la civilisation et la nature formant un ensemble parfaitement homogène.
Des moments d'ivresse
"Magnifique !" dis-je. Daniel, sentant que je baisse enfin la garde, propose : "Il y a un bertso saio plus tard. Tu veux venir ?" Un bertos saio est une séance de poésie improvisée. "Tout le monde y va. Des gens tout à fait ordinaires." Même s'il avait lieu dans ma chambre, je ne participerais pas à ce genre de divetissement. Le beau panorama ne change rien à l'affaire. Avec l'autoradio, j'ai eu ma dose de complaintes basques. "Non, merci" dis-je. Mais, alors que nous redescendons de la montagne (avec un sac plein de bouteilles de whisky et de cigarettes), je me dis que c'est précisément parce qu'on se retrouve en position de décliner ce genre d'invitation que le Pays Basque est la région la plus fascinante de France.
L'endroit est extrêmement beau, depuis la côte déchiquetée jusqu'aux sommets impressionants, en passant par les vallées et les collines ondoyantes. La nourriture - poisson, jambon, ragoûts et fromage de brebis - est d'une merveilleuse simplicité. Bien sûr, chaque région française a ses coutumes. Les habitants des villages provençaux passent la moitié de leur vie en costume médiéval. Les Basques sont d'un autre espèce?. Ils considèrent qu'ils vivent dans la partie occidentale des Pyrénées depuis l'âge de pierre. L'apparition de leur langue est antérieure, dit-on à l'arrivée des langues indo-européennes - et c'est vrai que tous les mots en X, K et Z sonnent comme des instructions pour la chasse au mammouth.
Des réunions telles que les séances de poésie improvisée ne sont pas de simples prétextes pour porter des robes vaporeuses et des chapeaux ridicules et pour lancer des "Oyez ! Oyez!" Elles sont l'expression d'une culture - et, qui sait, d'un peuple - profondément enracinée. Je ne veux pas aller écouter de la poésie - de la même manière que, lors de visites antérieures, j'ai résisté aux danses folkloriques et à des pièces de théâtre de quatre heures en basque -, mais je suis heureux que cette culture existe. C'est la preuve que le Pays basque est toujours indépendant, résolu et diablement exaspérant.
Une cordialité contagieuse
Mais c'est aussi un lieu accueillant. Pendant que Daniel va voir des gens ordinaires échanger des vers, je parcours des collines et des villages peuplés de gens à la cordialité contagieuse. Les Basques ne négligent pas leur foyer, et c'est la raison pour laquelle leurs villages sont les plus typiques de France. Les riches maisons d'un blanc éclatant aux boiseries rouges ou vertes ne laissent aucun doute sur la respectabilité des familles qui y vivent. Elles sont la base de tout ce que les Basques font ou ont fait : agriculture et contre-vande, dans folkorique, pêche et envoi des fils en Amérique.
Je me promène dans le village de Sare, enchanté par la blancheur de ses maisons ("Ici les peintres en bâtiment gagnent davantage que les avocats", m'a expliqué un gars du village). De vieux messieurs sont assis sur des bancs, des femmes s'affairent dans leur potager et des jeunes lancent des balles contre le fronton* avec leur chistera. Si vous projetiez de mener une vie villageoise, ce serait l'endroit idéal, mais il vous faudrait pour cela une histoire datant d'un ou deux millénaires, avec des descendants en Argentine et un frère restaurateur à Paris.
Sûrs de leurs origines et de leur identité, ces villages n'on pas besoin de visiteurs et sont donc heureux d'en voir. Etalée sur les flancs des collines et au creux des vallons, la commune d'Itxassou est le village le plus bucolique qui soit, vivant au rythme des saissns, des moutons et de's cloches de l'église. Et du nationalisme basque. Itxassou, m'a-t-on dit, est l'un des bastions du mouvement nationaliste.