La presse en parle
< Retour aux actualitésLes cochonnailles de monsieur Sakurai
Il faut plutôt être un fin investigateur pour repérer cette croix basque, apposée au fin fond du dédale tokyoïte.Drôle de destination que ce restaurant baptisé Lauburu, qui détonne au royaume du saint Sushi. Car une fois son seuil franchi, d'un coup de baguette magique asiatique, le Japon s'efface et fait place au Pays basque. Napperons, ikurrina, chistera.... la salle de réception ressemble comme deux gouttes d'eau à celle d'un bistrot du fin fond de la Soule. Rien n'a été oublié. A un détail près : le chef cuisinier ne s'appelle ni Biscay, ni Etchegaray, mais bien... Shinichiro Sakurai. Un japonais à la tête d'un tel troquet ? Un rembobinage s'impose... Tout commence à l'aube des années 1990. Monsieur Sakurai, convié par un ami à visiter l'Hexagone, passe par la case Pays basque. Dès ses premières déambulations à Saint Jean de Luz, un coup de foudre le projette sur le tatami. "Je suis tombé amoureux du coin sur le champ", se souvient-il, alors prêt à tout pour y dénicher un stage. Sa chance, elle l'attendra cachée derrière l'église de la rue Gambetta, aux portes du restaurant le Tourrasse. Son initiation débute ainsi, agrémentée de jambon de Bayonne et de piment d'Espelette. Au terme d'un an, rassasié, il s'aventure ailleurs en France.... mais son appétit pour le Pays basque aura tôt fait de le reconduire chez Chilo, à Barcus, minuscule village souletin. Eût-il été un extraterrestre, l'effet aurait été similaire ! "J'étais le tout premier Japonais à me rendre là, on me regardait plutôt bizarrement....", rit monsieur Sakurai. En 1993, il regagne le pays du Soleil levant pour parachever sa formation, puis concocte dès 2002 un projet de restaurant, afin d'y faire sa propre cuisine...basque.
Véritable îlot basque immergé dans l'archipel, pouvant accueillir jusqu'à ving-quatre couverts, Lauburu recrée parfaitement l'ambiance d'un bistrot du Sud-Ouest. "Quand ils viennent pour la première fois, les expatriés français n'en croient pas leurs yeux !", témoigne le maître des lieux.
Au menu, on voit de tout : garbure, piperade, andouillette, cochonnailles, etc. Et au bar, on boit de tout : irouléguy, jurançon, Izarra, etc. Pour certains produits, comme les cuisses d'oie ou les langues de porc, l'importation est inévitable, mais d'autres sont glanés localement (abats, sang pour le boudin). Y compris le jambon, confectionné sur place. "au Japon, il est très difficile d'obtenir du cochon avec la peau", explique le chef, qui doit recourir au porc de l'île d'Okinawa, un produit nippon réputé qui n'a rien à envier à son homologue bayonnais !
Les ingrédients du succès
Le tout est mitonné avec quelques onces de talent et une rasade de passion : un peu surprenant que le restaurant ait décroché sa première étoile au Michelin en novembre 2010. Un cadeau qu'on dirait tombé du ciel de Tokyo. "Nous n'avions rien demandé, on ne s'y attendait pas", s'étonne encore le cuisinier.Mais malgé ces honneurs qui ont apporté leur lot de nouveaux clients, ne lui parlez surtout pas d'une éventuelle deuxième étoile. Tailler dans le jambon, oui...dans l'authenticité, pas question. "Je veux rester dans un style bistrot. Une deuxième étoile ne m'intéresse pas, car il faudrait alors tout modifier, changer la vaisselle ou les nappes, par exemple." Bien que Lauburu ait conquis les critiques aujourd'hui, il fallait toutefois avoir des tripes pour échafauder un tel projet en territoire nippon. "J'avais un peu peur de la réaction des clients japonais, concède monsieur Sakurai. Ici, du boudin ou du jambon cru, c'est quelque chose d'inhabituel. On m'a souvent dit : 'Mais tu es fou !'. Cest vrai que proposer ce genre de cuisine fut une prise de risque." Heureusement, grâce à l'insatiable curiosité culinaire tokyoïte - capitale mondiale de la gastronomie -, la sauce n'a pas tardé à prendre. "Les Basques et les Japonais sont un peu pareils. Au premier abord, ils sont méfiants vis-à-vis de ce qui vient d'ailleurs. Mais quand on a leur confiance, c'est comme si on faisait partie de la famille !" Comme quoi, Pays basque et Japon peuvent être copains comme cochons...